Promenade solitaire dans un quartier excessivement bruyant. Enfin, pas si solitaire que cela en comptant la présence glacée plaquée à sa jambe, sous l'épaisseur de tulle bleue, assortie à ses yeux de sa jupe. La jeune femme, les yeux pudiquement baissés sur ses escarpins rouges et Dior, avançait lentement, ses bras maigres plaqués le long de son torse à peine gonflé de poitrine. Ses longs cheveux blonds, relâchés, heurtaient fréquemment ses épaules droites, et, de temps à autre, son regard remontait sur les rares passants qu'elle rencontrait, avec un peu plus d'assurance. Lors de ses remontées à la "surface", elle tenait à adopter une apparence neutre qui n'éveillerait chez personne la suspicion de son statut de Reine.
En tant que Seigneur des Ombres de la Cour des Miracles [SDOLCDM], elle se devait parfois de rencontrer les gens personnellement. Aussi, il y a peu de temps encore, l'une de ses relations lui avait indiquée le nom d'une des personnes travaillant pour le parti Révolutionnaire des Daemons. Syel, bien décidée à voir de ses propres yeux le phénomène, était donc sortie de son petit appartement aux alentours des Vingt-deux heures du soir, afin de se rendre à l'épicerie d'une certaine Agatha Hotwood, sympathisante du parti. Par le passé, elle n'avait pas encore eu l'occasion de rencontrer l'un des membres du groupe du célèbre Arsène. Aussi, c'était là une chance en or d'en savoir un peu plus, autrement que par l’intermédiaire de ses relations.
Hors, à présent, la jeune daemon aux yeux bleus marchaient calmement dans la rue, observant le décor qui l'entourait avec patience. Vieux immeubles en assez bon état, rares vieilles personnes accoudées au bars, à boire certainement des cafés trop amers... Syel fut tentée un instant de s'installer à l'un des cafés vétustes, pour commander rapidement un earl grey, qu'elle aurait siroté en regardant le ciel chargé de nuages. Cependant, si elle voulait rentrer à temps pour rédiger un rapport sur sa vieille machine à écrire, elle n'en aurait pas le temps.
Avec un soupir donc, la belle femme continuait d’avancer dans la rue, ressentant la tension croissante de Sard, lové contre sa cuisse glaciale avec grâce, sans emprisonner le flot rapide des fines veines bleutées. La vipère n'aimait pas le quartier, l'humaine entendait ses pensées pleines de fiel, sarcastiques. Un poison suintant de chacun de ses mots, qui eut au final raison de la belle assurance de la femme. Elle resserra nerveusement sa veste de fourrure autour de son corps harmonieux, et pressa le pas. A l'idée de retrouver une atmosphère chaude sous peu, un sourire vague s'afficha sur ses lèvres pulpeuses, d'une délicieuse couleur pêche.
Elle aperçut enfin au coin d’une rue plongé dans l’obscurité une pancarte rassurante, qui indiquait en lettres grasses "épicerie". Lentement, elle tendit la main vers la porte de verre, sur laquelle le panneau "fermé" était affiché. Elle frappa au carreau, avant d'attendre patiemment. Après tout, elle avait le temps qu'il fallait à cette opération...
" Excusez-moi ! " Lâcha-t-elle d'un ton à peine élevé, plaquant ses mains au verre glacé de la vitre