Misère et Corde

Ça avait été si facile. Trop facile d’ailleurs. Alice n’en revenait pas ; on l’avait payée une fortune pour tuer ça ? Vu la somme, elle s’était attendue à un adversaire plus malin ou plus dangereux, mais non. Toutes les étapes s’étaient passées rapidement et facilement, de l’infiltration jusqu’à l’élimination. L’espionne n’avait pourtant pas fait dans l’originalité : pour sa première approche, elle avait débarquée déguisée en une vendeuse porte-à-porte sexy de café. Pantalon élégant, chemisier ouvert sur son décolleté, bottes assez jolies et pratiques pour courir et tout ça. Ses cheveux roux étaient retenus par une pince, ce qui n’empêchait pas quelques mèches rebelles de tomber autours de son visage. Elle avait doté son œil droit d’une lentille verte émeraude, de la même couleur que le gauche, pour plus de discrétion.

Ce dénommé Genghis l’avait laissée entrée sans méfiance, tout en insistant pour la toucher sous prétexte qu’il était aveugle. Elle l’avait guidée bien gentiment, pendue à son bras, à son fauteuil. Là, elle lui avait tapé la causette et écoutait, plaisantait, s’efforçant de parvenir à un sujet qui lui permettrait de soutirer quelques infos croustillantes. L’Irlandaise supporta avec patience ces mains perverses qui venaient parfois entourer sa tailler, suivre la forme de ses courbes féminines. Mais malgré ses efforts, il ne dévoila rien d’intéressant. Mika, qui rôdait silencieusement dans l’appartement, n’avait rien déniché non plus. Alice sentit que ce petit jeu qui, normalement, devait se présenter comme une reconnaissance du terrain, ne lui servirait pas à revenir pour apprendre davantage de choses. Il ne lui avait resté alors qu’une seconde alternative : la négociation. Un domaine dans lequel elle excellait, bien évidemment.

Lady Poison avait été fidèle à sa réputation. Elle avait piqué sa victime avec une aiguille tellement fine que Genghis ne l’avait pas sentie. Une ou deux minutes plus tard, il se tordait déjà de douleur sur le sol grâce au poison dont le dard était recouvert (composition perso). La douleur était tellement lancinante qu’il ne pouvait pas s’exprimer autrement que par des souffles rauques inaudibles pour ceux qui ne tendaient pas l’oreille. Alice lui avait ensuite agité l’antidote sous le nez, déclarant qu’elle ne s’en servirait que s’il lui disait quelque chose d’intéressant sur le PWL. Sinon il mettrait des jours à mourir en souffrant comme cela. Sa survie dépendait de son savoir.

L’Irlandaise avait été quelque peu déçue par le manque de courage du Wild. Il avait mit quoi…Dix secondes pour parler ? Certes, le poison lui causait d’atroces souffrances, mais elle en avait connu qui tenaient bien plus longtemps, par amour envers leurs idéaux. Et cet homme, elle le devina facilement, n’était qu’une sale fouine. Elle avait des difficultés à comprendre comment le PWL avait pu recruter cet imbécile dont la langue fourchait si facilement. Peut-être qu’ils manquaient de personnel dans le camp adverse, au point d’accepter n’importe qui. Ou alors il possédait des qualités qu’elle n’avait pas saisies. Dans tous les cas, l’espionne l’élimina en lui tranchant la gorge avec sa dague affûtée, se demandant vaguement si la taupe l’avait crue quand elle lui avait promit de lui donner l’antidote…En nettoyant sa lame souillée, Alice pensa avec délice au bonus qu’elle allait toucher grâce aux informations qu’elle avait recueillies.

La jeune femme continua son travail ; il s’agissait maintenant de disparaître sans laisser de traces. Récupérant son aiguille qui traînait, elle vérifia que rien ne permettrait à personne de remonter jusqu’à elle. S’apprêtant à sortir comme elle était rentrée, c'est-à-dire par la porte, Alice se dirigea vers cette dernière. La voix stressée de Mika rompit le silence :

« Attends, Alice ! Des gens montent !! »

L’irlandaise, ayant pleinement confiance en l’ouïe de son Daemon, ne se posa même pas de question et réagit dans l’instant en cherchant une autre issue, pensant très fort à quelques jurons pour calmer son agacement. Elle ne savait pas si ces personnes montaient pour venir ici, mais il ne fallait prendre aucun risque. Niveau sorties, elle n’avait pas beaucoup de choix : la fenêtre. D’un signe de la main, elle désigna la bouche d’aération à Mika. Un plan silencieux fut établit : rejoindre le toit, chacun d’un côté différent. L’immeuble était petit, avec un seul appartement à chaque entrée. L’éloignement serait surmontable. Alice se précipita donc à la fenêtre qui débouchait sur l’issue de secours, alors que l’hermine se faufila dans l’obscurité d’un tuyau rectangulaire. Elle eut juste le temps de se mettre sur le côté alors qu’ils entraient. Là, aussi silencieuse qu’une féline, elle entreprit non pas de monter par les escaliers, mais de s’aider des nombreuses barres de fer implantées presque à chaque fenêtres et qui permettaient d’étendre le linge grâce aux fils de leurs extrémités. En entendant l’un des leurs donner des ordres (hum, faudrait déjà qu’ils l’attrapent pour lui donner une fessée), elle se félicita de cette décision ; ils s’attendaient sûrement à ce qu’elle descende, et on ne pouvait accéder au toit d’aucune façon, sinon par l’escalade ou les aération (l’escalier s’arrêtant seulement au dernier appartement). Elle espérait qu’ils auraient du mal à la suivre…Mais non. L’espionne ne pouvait remettre sa vie entre les mains du destin. Elle devait veiller à ne pas se faire prendre.

La fuite simple était donc exclue. En se balançant d’une barre de fer à une autre, elle sentait qu’elle ne disparaîtrait pas derrière l’autre façade du bâtiment à temps. Il fallait donc qu’elle profite de l’effet de surprise. L’Irlandaise agit très vite ; restant suspendue à une barre d’une main – décidément, sa tenue n’était pas pratique - , elle sortit de son sac accroché à sa hanche une aiguille empoisonnée. Visant la fenêtre par laquelle elle était sortie quelques secondes auparavant, elle attendit que sa cible se pointe…Et lança son aiguille vers cette dernière avec précision.

"Y'a rien à foutre dans cette ville de merde."

Enième protestation d'un homme vêtu de A à Z par les plus grands couturiers du monde. Assis sur un rebord de cheminée, il fixait le vide au-dessous de lui avec cet air si commun aux gosses qui se font litteralement chier.

"Pourquoi on y a va pas Monsieur R. ?"
"Parce qu'on attend, monsieur J."

L'autre homme venait d'apparaître dans l'obscurité du toit. Il laissa sa grande cape s'envoler au rythme du vent, humant ce dernier avec un plaisir certain. Mais pas plus que l'odeur qui lui titillait les nasaux.

"Vous sentez ça ?"
"Sang", dit le dénommé monsieur J. en s'hémectant les lèvres.

Un grand nuage de poussière s'éleva de la cheminée.
L'instant d'après, ils n'étaient plus là.



L'aiguille était parti vers le visage de Spiky Spike. Si vite. Tellement vite ... Monsieur R. s'élança et la rattrapa avant même qu'elle n'heurte un oeil ou une machoîre, comme on arrête une guèpe mouillée près d'une piscine. Ils étaient apparu sans que rien ne les annonce, un devant Alice, s'élevant étrangement dans les airs par on ne sait quel phénomène, l'autre debout de toute sa hauteur sur la barre qu'occupait les mains de l'assassin présumé : Alice.

"Les femmes sont de bien étranges animaux, vous ne trouvez pas monsieur J. ?"
"Oh oui. Bien étrange."

Il attrapa la première jambe de la jeune femme qui lui passait sous la main et entreprit de la décrocher de la barre.

"Et en plus, elles sont collantes !"
"Deux pour le prix d'un, et Spike Baret en plus. Belle soirée monsieur J."

Son sourire fut carnassier.

La jeune fille regardait avec un air stupéfait l’énergumène qui venait d’apparaître devant elle comme un diable qui sort de sa boîte. Sur le coup de la surprise, elle avait bien faillit lâcher la barre de fer. Nom de Dieu, c’était qui ce couillon qui venait interférer dans ses plans ? Dans ses mains, la barre de fer se courbait, elle leva donc la tête pour voir ce qui la faisait flancher. Alice eut l’impression que son cœur cessa de battre un court instant sous l’effet de l’angoisse. Un autre gars, similaire au premier de toute évidence, se tenait debout sur SA barre, et l’autre était juste devant elle. En plus ils la qualifiaient de, je cite : ‘animal étrange’. Alice était indignée ; ils n’avaient pas le droit d’apparaître comme ça, comme des tout puissants, et de la mettre hors d’état de nuire aussi facilement qu’une mouche. C’était de la triche, bordel ! Devant le dilemme de la situation désespérée, Alice s’agitait vainement, plus pour avoir l’impression d’agir que pour agir vraiment : car elle ne pouvait rien faire.

Celui d’en dessous l’attrapa par la cheville et entreprit de la tirer vers le sol. L’espionne lâcha un petit gémissement désespéré et s’accrochait à la barre comme elle s’accrochait à la vie. Mais l’homme était doté d’une force surprenante, elle sentait déjà ses muscles s’étirer beaucoup trop et ses épaules se déboiter lentement. Rageusement, elle essayait de foutre des coups de pieds à son adversaire, mais il les évitait sans problèmes. Et il suffisait que le gars d’en haut écrase ses mains avec son pied pour la faire lâcher, et elle s’écraserait sur le sol comme une vieille merde. Pendant ce temps, l’hermine parcourait la tuyauterie à toute vitesse en poussant des cris désespérés. En cet instant, Mika aurait souhaité être un lion plus que tout au monde pour écorcher sur place ceux qui étaient en train de faire du mal à Alice. Tant pis si toucher une autre personne était contre nature. Il les aurait quand même détruits sur place. Mais il n’était qu’un rongeur. Avec une petite colonne vertébrale facile à briser…Et pourtant, il bondissait dans les coins, courait aussi vite que ses pattes le lui permettait. Au pire, il voulait mourir près d’elle. Si Alice tombait, il mourra avant qu’elle atteigne le sol car la distance qui les séparait serait trop grande. Alice le savait aussi, et c’était cela qui lui donnait la volonté nécessaire de tenir. Elle ne voulait pas sentir son cœur se déchirer avant de mourir. Dire qu’elle ne pouvait même pas sortir une arme, sous peine de lâcher la barre !

Alors qu’elle était à deux doigts de perdre sa prise, elle sentit que l’inconnu avait subitement lâché sa jambe. L’Irlandaise rouvrit les yeux et vit avec stupéfaction que Spike Baret, dont elle savait qu’il dirigeait le PWL (elle fut étonnée qu’il soit là d’ailleurs)…Lui venait en aide ? La situation paraissait si stupide. En toute logique, il aurait dût la laisser mourir et essayer de sauver sa peau (car de toute évidence, les étrangers n’étaient pas ses amis non plus). Il se débarrassa de l’autre également d’un coup de crosse.

Citation :

- On s'casse ma jolie! J'oublie que vous avez tué mon informateur, que vous avez essayé la même chose pour moi et je vous tire d'ici, okay?

Sous ses mèches acajou qui lui tombaient sur les yeux, avec la respiration haletante, Alice regarda la main tendue comme si c’était celle d’un pédophile proposant des bonbons à une petite fille. Ce qu’il lui proposait était tout à son avantage ; elle était où, l’arnaque ? En plus, il la regardait avec cet air aguicheur qui la faisait vomir, comme s’il l’avait déjà dans sa poche. Elle lui aurait volontiers craché à la figure par pure contradiction – même s’il était assez séduisant - si elle était en position de discuter, mais ce n’était pas le cas, malheureusement. Sa vie reposait, pour ainsi dire, dans cette main qu’il lui tendait. Et mon Dieu qu’elle détestait ça, de ne pas avoir le choix ! Spike le savait, et c’était sans doute pour cela qu’il se permettait de la prendre de haut. L’enfoiré. Bon, il fallait prendre une décision, et vite…Elle hésita un court instant, jusqu’à sentir un Mik’ qui était descendu à toute vitesse du toit en parcourant le mur s’accrocher à son épaule, tout tremblant. Alice se dit que la priorité était de survivre à ces inconnus, qui n’allaient pas tarder à revenir, elle en était persuadée. Il devait sans doute s’agir de ces types louches et apparemment surpuissants dont elle avait entendu parler dans son Parti, et dont elle ne savait, pour ainsi dire, pratiquement rien. Donc, d’abord survivre à ces types, et ensuite à Spike Baret.

« D’accord » dit-elle avec résignation. On voyait bien que tout cela ne lui plaisait pas.

Sa main droite lâcha donc la barre de fer avec réticence avant de se tendre vers le Wild. Ses doigts effleurèrent les siens, mais elle était trop loin pour parvenir à les saisir. La jeune fille murmura un juron et se pencha davantage…

Ca faisait plaisir à voir, ça! Une femme qui prend enfin une décision intelligente! Qui a osé dire que ces êtres dotés d'une paire de seins, d'un vagin à toute épreuve et d'une fourberie légendaire ( Cf : l'épisode d'Adam et Eve ) pourrait ENFIN agir correctement?

Certainement pas Spiki. Lui il aurait bien flingué la jeune dame. Pas question de faire de quartier. Mais elle savait sans doute des choses que Spike ne savait pas. Donc, histoire de faire croire à son pseudo-peuple que la journée fut bonne, il allait la questionner un peu; lui donner un peu de lait caillé dans une gamelle rouillée, avant de la buter sauvagement. Ensuite, si il y'a des nécrophiles preneurs...

« D’accord » dit-elle avec résignation. On voyait bien que tout cela ne lui plaisait pas.

De toute façon, Spike se doutait déjà de la réponse vu qu'elle commençait à se diriger vers la main tendue. Sa main parcourut le plus de distance possible, essayant d'attraper celle que Spike tendait. Seuls leurs doigts se frôlèrent, mais sans succès. Spike s'appuya contre la rambarde et attrapa avec succès la main de la jeune femme.

Ramenant cette dernière avec les deux dixièmes de force dont il eut besoin d'user, Spiki la souleva comme une plume et la déposa sur le petit balcon. Jetant un oeil aux alentours, il se douta bien vite qu'ils allaient revenir. Ils n'avaient pas des têtes de mecs qui abandonnaient au premier coup donné.

- Vous avez un plan? Une idée? Des amis haut-placés? Une arme, excepté votre rat blanc? Non? Alors direction les toits. Pas question de descendre, ils doivent nous attendre.

Indiquant poliment mais avec autorité les escaliers qui menaient à l'étage suivant, Spike ne prenait pas de risques. Laisser une femme dans votre dos? C'est creuser votre tombe + un pied dedans!

« ‘sont pas marrants. »

L’homme en noir s’épousta du mieux qu’il put, une petite moue déçut sur le visage. Et pourquoi donc on leur avait donné des jambes à ces trucs là ? Faut que ça arrête de gigoter dans tous les sens, c’est chiant à la fin quoi !
Monsieur R. rejoint Monsieur J. qui grognait, encore énervé par ce petit chat et sa copine la (petite) carotte (huhuhuhu, aucun sous-entendu). Ce dernier s’était assis sur le rebord de la barre de fer, tâchant d’entendre les petits pas des deux proies qui leur échappait. Monsieur R., quand à lui, garda son air calme et simple, petit sourire sur le visage. Oh lui, il s’amusait bien. Rien à faire sauf de les épuiser jusqu’à la fin de cette nuit, et quand il serait trop fatigué pour courir….

COUIC.

« Venez Monsieur J. Ne perdons pas de temps si vous le voulez bien. J’ai encore envie de sentir l’odeur de leur peur. »

Tout deux ricanèrent et s’élancèrent tranquillement à la suite des fuyards. Ils auraient facilement pu les coincer en moins de trois secondes, à peine le temps de dire « la mort en slip de guerre ». Mais c’était trop tentant. Alors, à leurs trousses ou presque, ils tâchaient de faire un maximum de bruit. Pour leur faire peur. Pour les tuer dans leur horreur.
Pour bien montrer le pouvoir qu’ils avaient.